Les débats récents à l’Assemblée nationale ont mis en lumière une mesure symbolique : l’instauration d’un « impôt plancher sur la fortune ».
Déposé par la députée écologiste Eva Sas et plusieurs élus de son groupe, le texte ambitionne d’imposer plus lourdement les plus gros patrimoines pour aider à combler les déficits publics. Si ce vote en séance est un premier pas, l’adoption définitive de cette mesure est encore loin d’être acquise.
Une taxe inspirée des travaux de Gabriel Zucman
Au cœur de la proposition, on retrouve l’idée d’une taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Ce seuil, nettement en dessous du milliard d’euros initialement évoqué par l’économiste français Gabriel Zucman dans son rapport au G20, vise à assujettir davantage de foyers fortunés.
Le principe retenu est celui d’une taxe différentielle : il s’agit de porter la somme de tous les impôts déjà acquittés (impôt sur le revenu, IFI, etc.) à 2 % du patrimoine net. Autrement dit, si un contribuable déclare 1,5 % de taxation globale, il lui faudra s’acquitter d’un « complément » pour atteindre 2 %.
Un seuil à 100 millions d’euros et un abattement limité
Contrairement à l’IFI (Impôt sur la fortune immobilière) qui se concentre uniquement sur l’immobilier, la proposition de loi inclurait l’intégralité du patrimoine, qu’il soit financier, professionnel ou immobilier.
Le seul assouplissement notable concerne la résidence principale, à laquelle serait accordé un abattement d’un million d’euros. Ainsi, quelqu’un détenant un patrimoine de 120 millions avec une résidence principale valorisée à 2 millions ne verrait que 1 million ajouté à sa base taxable pour ce seul bien.
Un impôt déclaratif à régler en septembre
Dans sa version actuelle, le texte prévoit que les personnes concernées complètent une déclaration annuelle spécifique, assortie du paiement correspondant, au plus tard le 23 septembre de chaque année.
Ce dispositif reprend donc en partie la mécanique de l’IFI, où les contribuables doivent s’autodéclarer. En termes de rendement, le projet évoque un minimum de 15 milliards d’euros de recettes potentielles, ce qui constitue un argument de poids pour les partisans d’une pression fiscale accrue sur les détenteurs de très grandes fortunes.
Un signal politique fort, mais un chemin législatif incertain
Le passage à l’Assemblée nationale ne signifie pas pour autant que cet impôt deviendra réalité. D’un point de vue procédural, la proposition de loi devra encore franchir plusieurs étapes :
1. Examen au Sénat : Or, la chambre haute est dominée par une majorité de droite, traditionnellement opposée à ce type de taxation.
2. Retour à l’Assemblée : Si le Sénat n’adopte pas le texte, un compromis devra être trouvé en commission mixte paritaire, ou bien l’Assemblée devra finalement avoir le dernier mot, ce qui est rarement évident sur ce type de sujet sensible.
3. Position de l’exécutif : Le gouvernement, qui doit composer avec des impératifs budgétaires mais aussi économiques, n’a pas clairement affiché son soutien à cette mesure, même si le Premier ministre a déjà ouvert la porte à des dispositifs ciblant les très hauts patrimoines.
Contexte : tensions budgétaires et mesures anti-optimisation
La situation actuelle des finances publiques et la recherche de nouvelles ressources alimentent le débat sur la taxation des grandes fortunes. Le gouvernement a récemment mis en œuvre une contribution additionnelle pour lutter contre les optimisations fiscales, mesure déjà évoquée dans la loi de finances. Toutefois, l’exécutif semble davantage miser sur des outils ciblés et sur la limitation des niches fiscales, plutôt que sur une refonte globale du système d’imposition du patrimoine.
Malgré cela, l’attrait d’un rendement à deux chiffres (15 milliards ou plus) ne laisse pas indifférent, surtout dans un contexte de déficit public élevé et de contraintes européennes sur la dette.
Pourquoi ce projet suscite autant de débats ?
Un impôt plancher sur la fortune renvoie au débat permanent sur l’équité fiscale et la répartition de l’effort. De nombreux observateurs s’inquiètent qu’une telle mesure n’encourage les détenteurs de grandes fortunes à délocaliser leurs actifs, voire leur résidence fiscale. De plus, cette proposition n’émane pas de la majorité gouvernementale, mais d’une députée écologiste. Pour être défendue, elle devra trouver des soutiens hors de son camp, ce qui s’avère délicat dans un contexte de polarisation.
En définitive, si les grosses fortunes ne sont pas à l’abri d’un alourdissement fiscal, ce projet « d’impôt plancher » n’en est qu’au stade préliminaire. Le symbole est puissant, mais l’avenir législatif demeure incertain, tant les sujets liés à la taxation du patrimoine suscitent de vives résistances et de longues tractations. Sans consensus gouvernemental, la proposition risque de buter sur des équilibres politiques encore instables. Les débats à venir, notamment au Sénat, diront si la France opte réellement pour cette nouvelle étape dans la taxation des grandes fortunes.